vendredi 4 mai 2007

DCA, l'arme anti-cancer ?

Par Jean Zin, jeudi 3 mai 2007






Il est toujours délicat de parler d’un supposé traitement miracle contre le cancer, il y a déjà eu tant d’espoirs déçus, mais il y a de bonnes raisons d’attirer l’attention sur une découverte très récente et qui provoque déjà un certain engouement outre-atlantique: un produit simple et peu coûteux le DCA (DiChloroAcetate) pourrait entraîner la mort des cellules cancéreuses sans nuire aux cellules saines!

Cela parait trop beau pour être vrai et demande confirmation mais, s’il faut en parler quand même, c’est que les laboratoires pharmaceutiques ne s’intéressent guère à une molécule chimique qu’ils ne peuvent breveter et qui est trop bon marché ! Il faut donc les faire changer d’avis ou bien que les pouvoirs publics prennent en charge rapidement les essais cliniques afin de confirmer ou non le potentiel thérapeutique du DCA, ce qui ouvrirait la voie à de nouvelles approches des cancers. En effet, sur le plan scientifique l’intérêt de cette découverte est de renforcer l’hypothèse métabolique du cancer plutôt que celle des mutations de l’ADN, l’une n’étant pas exclusive de l’autre d’ailleurs.

La nouvelle a certes de quoi susciter de grands espoirs mais il ne faut pas s’emballer trop vite et se livrer à une automédication qui n’est pas sans dangers. On n’en est encore qu’à la théorie et aux expériences de laboratoire. Il serait bien téméraire de se baser sur une publication unique alors qu’il n’y a encore eu aucun essais clinique chez l’homme, mais voyons les faits avant d’aborder les perspectives.

La revue Cancer Cell du mois de janvier a publié un article d’Evangelos Michelakis et ses collègues de l’Université d’Alberta à Edmonton (Canada), qui ont constaté in vitro que le dichloroacetate (DCA) avait pour effet de tuer les cellules cancéreuses humaines, cultivées à partir de tumeurs au sein, au cerveau ou au poumon, tout en épargnant les tissus non cancéreux ! L’expérience a été confirmée in vivo chez des rats dépourvus de système immunitaire à qui on avait injecté des cellules cancéreuses et dont la croissance des tumeurs a régressé en quelques semaines, en ajoutant simplement du DCA à l’eau qu’ils buvaient. Voilà tout, ce n’est pas rien et suffisant pour appeler à des essais cliniques mais on est encore loin d’une promesse de guérison ! Ce qui est encourageant, c’est surtout l’explication qui peut être donnée de l’effet du DCA sur les cellules cancéreuses dont il provoquerait l’apoptose (suicide cellulaire) en réveillant leurs mitochondries, phénomène qui renouvellerait notre compréhension des mécanismes du cancer et de sa dissémination.

D’abord, qu’est-ce que le DCA, c’est un dérivé de l’acide dichloroacétique (ou acide dichloroéthanoïque) dont la formule est "CHCl2COOH" (attention l’acide est dangereux, ne pas confondre avec l’acétate). Le dichloroacétate (ou DCA) est une molécule déjà employée dans le cadre de certaines pathologies métaboliques très rares se caractérisant par un excès d’acide lactique. On sait aussi qu’elle prévient ou neutralise l’accumulation d’acide lactique lors des chocs cliniques, lors d’hémorragies ou d’hypoxie (manque d’oxygène). Il arrive que l’acide lactique soit produit en excès, ce qui peut être dangereux et même potentiellement mortel, lorsque les cellules tirent leur énergie exclusivement de la digestion des sucres (glycolyse) plutôt que de la respiration de l’oxygène par les mitochondries.

Quel rapport avec le cancer ? Eh bien, on avait déjà constaté que les cellules cancéreuses se distinguaient des cellules saines par leur métabolisme, ce qu’on appelle l’effet Warburg qui inhibe la fixation du CO2 et donc la respiration de l’oxygène, étouffant ainsi les mitochondries. On avait cru que c’était une conséquence du cancer (du manque d’oxygénation des tumeurs) alors que ce pourrait en être la cause. En effet, ce qui caractérise les cancers ce sont les capacités de reproduction de cellules défectueuses qui sont normalement éliminées par ce qu’on appelle l’apoptose ou suicide cellulaire déclenché par les mitochondries. Ce serait justement la désactivation des mitochondries qui empêcherait ce mécanisme et provoquerait la multiplication anarchique des cellules cancéreuses dépourvues désormais de tout contrôle et de leur "exécuteur". La symbiose entre cellules eucaryotes et mitochondrie est donc bien une dépendance, la présence d’un agent étranger dans la cellule est ce qui l’asservit à l’organisme et si la cellule peut croire devenir immortelle en s’en débarrassant, c’est le corps tout entier qui peut en mourir. Ce n’est pas tout car, en grandes quantités, l’acide lactique due à la glycolyse peut dissoudre le collagène, qui maintient les cellules ensemble, provoquant leur dissémination dans tout le corps, des métastases, sinon un cancer généralisé.

Le cancer ne viendrait donc pas tant des mutations de l’ADN (non qu’il n’y en aurait pas, il y en a tout le temps) mais d’un dérèglement du mécanisme chargé d’éliminer ces mutations pathogènes. La cause du cancer serait ainsi métabolique ou systémique, impliquant l’état de santé général du corps et le stress qu’il subit plutôt qu’un défaut aléatoire et localisé de l’ADN. Le phénomène déclenchant serait le manque d’oxygène et le basculement des cellules en mode anaérobie où elles tirent leur énergie de la digestion des sucres plutôt que de la respiration mitochondrienne, ce qui favoriserait leur croissance. On pensait que les mitochondries des cellules cancéreuses étaient déficientes, voire qu’elles avaient été éliminées. Si l’expérience se confirme, cela voudrait dire que les mitochondries sont simplement désactivées puisque qu’il suffirait d’un peu de DCA pour les réactiver, cette réactivation des mitochondries menant immédiatement au déclenchement du suicide cellulaire dans une cellule cancéreuse (en rétablissant le mécanisme de l’apoptose, de la "mort naturelle" de nos cellules qui nous permet de vivre) sans affecter les cellules saines dont les mitochondries respirent normalement, en bonne entente avec leur hôte dans un symbiose parfaite et n’utilisant qu’assez peu la digestion des sucres. L’action du DCA reste un peu mystérieuse car il semble surtout réduire l’acide lactique (en stimulant l’activité de la pyruvate déshydrogénase, c’est-à-dire de l’enzyme qui favorise le recyclage de l’acide pyruvique et l’empêche de se transformer en acide lactique). En quoi est-ce si déterminant ? En tout cas il semblerait que l’effet se fait sentir en 5 mn et pour 48 heures !

Ce qui est très excitant dans cette piste de recherche, c’est que, si ça marche, cela devrait s’appliquer à de nombreux cancers car la plupart des cancers suppriment nécessairement l’apoptose et donc la respiration mitochondriale. C’est d’ailleurs ce qui permet de détecter les cellules cancéreuses en les distinguant des cellules saines grâce à des instruments comme le PET (tomographie à émission de positrons). Des expériences passées laissent penser malgré tout que cela ne s’appliquera pas à tous les cancers (probablement pas aux sarcomes ni aux cancers du poumon à petites cellules, entre autres).

En plus de tout cela, la bonne nouvelle c’est que c’est un produit simple et pas cher, seulement, en contrepartie, la mauvaise c’est qu’un tel produit n’intéresse personne malgré ses potentialités (c’est un peu comme l’extrait de pépin de pamplemousse trop délaissé !). On voit bien que l’économie de marché rencontre sa limite dès qu’on touche au bien commun, il faudrait donc que les ONG et la recherche publique prennent le relais car, il faut le répéter, ce ne sont que des pistes de recherche et rien ne prouve que cela marche vraiment, simplement l’enjeu vital impliquerait de procéder rapidement à des essais cliniques poussés.

Les perspectives sont réelles mais les chances de succès ne sont pas si grandes que certains le prétendent car le DCA a déjà été testé dans les années 1980 pour réduire l’acide lactique sans résultats probants en dehors de cette indication. Du moins on a pu constater que sa toxicité est assez faible. Elle n’est pourtant pas inexistante, le plus grave étant une neurotoxicité, peut-être due au manque de Thiamine (vitamine B1). On peut penser qu’on réduit simplement la digestion des sucres, ce qui n’est sûrement pas toujours bénéfique. Parmi les autres effets secondaires on parle de douleurs, engourdissements, problèmes digestifs ainsi qu’une action sédative et anxiolitique. De quoi donner des raisons aux laboratoires pharmaceutiques de trouver des molécules plus chères minimisant ces effets indésirables... On ne peut dire, en tout cas, que le DCA serait absolument non toxique, certains le rapprochent même du trichloréthylène, ce qui est sûrement un peu exagéré.

Il n’est pas certain que ce coup là soit le bon, l’explication théorique est malgré tout assez convaincante et mérite réflexion. C’est de toutes façons l’expérience qui tranchera, encore faut-il la faire au plus vite sinon, le produit étant facilement disponible, on assistera à une expérience à grande échelle d’automédication complètement incontrôlée avec de possibles mauvaises surprises. Si les promesses n’étaient pas tenues, il n’y aurait pas tellement de raisons de désespérer pour autant car, ce qui frappe en ce moment, c’est la multiplication des annonces de différentes stratégies pour lutter contre le cancer, toutes plus prometteuses les unes que les autres. C’est pour cela que la découverte du rôle du DCA n’a pas attiré l’attention plus que cela dans un premier temps car ce n’était pas un cas isolé. On a découvert par exemple qu’une des meilleurs façons de supprimer les cellules cancéreuses, c’était de tomber malade tout simplement, les virus infectant en priorité les cellules cancéreuses dépourvues de défenses immunitaires et nettoyant ainsi le corps... La réactivation du gène P53 ("suppresseur de tumeurs) a été proposée aussi ou bien des protéines spécifiques et le rôle de la vitamine D réévalué dans la lutte contre le cancer. Il semble donc bien qu’on peut espérer améliorer radicalement notre arsenal thérapeutique anti-cancers d’ici peu, DCA ou autre. Bientôt la fin de la guerre contre le cancer ?

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