lundi 12 mars 2007

Enfants-soldats d'ici et d'ailleurs


« La bataille n'en finissait pas. On nous a dit de tuer les gens en les forçant à rester chez eux pendant que nous mettions le feu à leur maison. On a même dû enterrer des gens vivants. Un jour, un ami et moi avons été forcés par notre commandant de tuer une famille, de découper leurs cadavres et de les manger. Après la bataille, j'ai décidé de m'enfuir et j'ai couru dans la forêt. Mais à Freetown des soldats m'ont découvert, m'ont ramené dans le campement. Ils m'ont emprisonné et m'ont battu tous les jours. » Fokey, ancien enfant-soldat du Sierra Léone.
J'aimerais à travers cet article vous faire prendre conscience de cette tragédie humaine qu'est la situation d'un enfant-soldat. Il y a aujourd'hui plus de 500 000 Fokey dans le monde. Mais je voudrais surtout vous faire prendre conscience de la possibilité de changer les choses et me référerai pour cela au témoignage d'Ishmaël Beah, ancien enfant-soldat Sierra Léonais que j'ai rencontré avec l'association Univerbal.

Ishmaël Beah, en Août 2000 : "La plupart d'entre nous traverse des étapes difficiles et certaines de ces périodes transforment nos vies et nous éclairent.
Pour ma part, les effets dévastateurs de la guerre civile et les déchirures familiales ont eu pour conséquence de m'apprendre à apprécier la vie et dans une certaine mesure, à l'appréhender de manière positive.

Je suis né en Afrique de l'Ouest, au Sierra Leone en 1980. Au cours de ma tendre enfance, mon pays était en paix et je menais une vie satisfaisante, pleine d'amour, d'amitié et de joie. Entre mes 9 et 11ans, tout changea : la guerre civile commença, mon père et ma mère se séparèrent. À mes 13ans, la guerre civile qui avait déjà éclaté depuis plusieurs années arriva dans mon village et bouleversa mon existence. Durant cette période chaotique, je perdis ma famille et du errer seul. Je ne voulais aller nulle part, je n'avais aucun but, j'étais seulement déterminé à trouver un endroit sur. Après des mois de voyages, dormant dans le bush*, buvant, mangeant ce que la nature m'offrait, j'atteignis un village occupé par les forces militaires sierra léonaises.
Avec les militaires qui me fournissaient de la nourriture et un endroit où dormir, ce fut première fois que j'eu ce sentiment de sécurité que je cherchais tant. Peu à peu je me rapprochais des soldats, reconnaissants, sensible vis-à-vis de ces gestes, que j'interprétais comme des actes de générosité. Mais l'horreur, que j'avais fui, m'attendait au tournant.
Après être resté des mois avec les soldats, les rebelles commencèrent à attaquer. L'armée battait en retraite jour après jours. Une grande partie du contingent fut tuée durant les affrontements. Les rebelles finirent par encercler le village. Par conséquent, l'armée eut besoin d'hommes pour accroître le nombre de soldats. Tous les garçons du village furent réquisitionnés pour rejoindre le contingent. Dès lors, il n'y avait pas d'issues. Si je décidais de quitter le village, j'aurais été tué par les rebelles qui m'auraient pris pour un espion. D'un autre coté, si je restais dans le village et refusais de rejoindre l'armée, j'aurais certainement été banni et laissé sans vivres, ce qui signifiait là aussi la mort.

Enrôlé, je fus brièvement entraîné à l'art de la guerre et devins sans le vouloir un enfant-soldat.
Je n'oublierai jamais ce que je ressentis lorsque je me suis retrouvé sur le champ de bataille pour la première fois.

Au début je ne pouvais pas appuyer sur la détente. Puis, soudain pris dans une embuscade, couché, paralysé, je regardais les enfants de mon âge se faire tirer dessus et mourir. La vue du sang et le cri de douleur des êtres humains déclencha quelque chose, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait, je perdais le sens de la compassion pour autrui. Je perdais mon vrai moi. Je perdais l'estime de moi, la notion de moi-même, l'impression d'exister.

Ayant franchi cette étape, je n'étais plus un enfant normal. J'étais traumatisé, un enfant littéralement inconscient du danger et du chemin sinueux que sa vie prenait.En fait, la plupart des événements horribles que j'ai traversés durant cette période ne m'ont pas affectés, il a fallu attendre que je sois démobilisé et mis dans un centre thérapeutique socio-psychoanalytique pour que je ressente à nouveau quelque chose. J'ai été libéré grâce à un effort de l'UNICEF et suis rentré dans un centre de réhabilitation pour anciens enfants-soldats.


Dans la maison psycho-sociale, j'ai commencé à être confronté au traumatisme d'autres enfants. J'ai eu des nuits sans sommeil. Toutes les nuits je me souvenais des derniers jours de mon enfance, les jours où elle m'a été arrachée. Je pensais que je n'avais aucune raison de rester en vie, étant le seul survivant de ma famille. Je ne ressentais aucune paix intérieure. Mon âme était corrompue et j'étais perdu dans mes propres pensées me blâmant moi-même, me reprochant ce qui m'était arrivé. Le seul moment où je me réconciliai avec mon être c'est lorsque je me mis à écrire des chansons sur les bons moments précédant la guerre.À travers ces écris, mais aussi grâce à l'aide du personnel de mon centre thérapeutique socio-psychoanalytique, je réussis à surmonter mon traumatisme. J'ai une fois de plus redécouvert mon enfance, une enfance qui était presque perdue. Je réalise aujourd'hui que j'ai eu une vraie détermination pour survivre. Mes chansons m'ont aussi donné espoir. Mais 50% des enfants-soldats ne surmontent pas leur traumatisme.

Heureusement, j'ai été remis en relation avec mon oncle et j'ai pu retourner à l'école à Freetown, la capitale du Sierra Leone. A ce moment-là de ma vie, j'ai nourri la capacité d'apprécier tout ce qui était autour de moi, m'entourait, et je me suis seulement intéressé au côté positif de chaque situation. J'en suis venu à la conclusion que j'ai survécu à la guerre pour une raison. Cette raison est de combattre pour la paix et pour que cette tragédie qui m'est arrivé ne continue pas à prendre les vies d'autres enfants de mon pays et d'ailleurs.


En 1996, j'ai été choisi pour représenter la jeunesse de mon pays dans la conférence "Young Voices" aux Nations Unies. Je suis rentré chez moi après la conférence et j'ai commencé à travailler avec les jeunes de mon pays. D'abord j'ai essayé de les éclairer à propos de leurs droits, ensuite, j'ai pressé le gouvernement afin d'être sûr que l'opinion de jeunes serait prise en compte à propos des décisions qui les concernent. Mais la campagne ne dura pas car la guerre civile éclata à nouveau dans la ville. Toutes les institutions éducatives, politiques, gouvernementales durent s'arrêter de fonctionner.Il devenait dangereux pour les personnes anti-guerre, comme moi, de continuer à vivre dans cette ville.

Grâce à Laura Simms, que j'ai rencontré à la conférence, j'ai pu quitter mon pays. Elle m'amena aux Etats-Unis pour me donner une meilleure éducation. Je vis actuellement à New York avec elle et je la considère comme ma nouvelle mère.

Une des leçons que j'ai tiré des tragiques événements de ma vietient en une simple maxime de mon pays : le seul fait qu'il y a de la vie peut permettre d' espérer pour le futur. Je pense que tout être humain devrait en être conscient et ainsi réaliser qu'il peut changer les choses. Je suis intimement persuadé que tous les êtres humains sont des êtres positifs et sont capables de penser positivement. C'est juste que la vie nous fait prendre des chemins différents. Tout le monde peut arriver à cette conclusion pleine d'espoir.

Si nous abordons le futur avec positivité, nous actions pour le futur seront positives. Tout le monde peut ajouter sa pierre à l'édifice.On n'a pas à être riche ou connu pour le faire. Si une personne peu changer sa façon d'être avec les autres peu importe qui ils sont et d'où ils viennent, c'est déjà une forme importante de progrès. C'est il me semble, un des principal problème de ce dernier siècle l'incapacité des individus à vivre ensemble."

Ce texte m'a paru la meilleure façon d'illustrer l'adéquation du projet que je tente de promouvoir et de défendre au travers d'Internet et la réalité de la souffrance de ces enfants. Est-il vraiment nécessaire de rappeler que la mobilisation d'enfants de moins de 15ans est illégale au niveau du droit international depuis 1945 et que les signataires des accords de Lusaka en 2000 s'engagent à ne pas enrôler des personnes âgées de moins de 18ans ? Je ne crois pas que le juridique eut été le point le plus perspicace. Le fait est qu'aujourd'hui ces enfants démobilisés anéantis psychologiquement ont besoin de soutien, donc de moyen et donc visibilité. Ishmaël, que j'ai rencontré le 12 février au sortir d'une conférence à laquelle nous n'avons pu assister est une exception mais il est l'exemple que les efforts des associations de terrains qui tente de renouer le contact avec les familles, de socialiser, de professionnaliser et de soigner ces enfants peuvent être efficaces. Aujourd'hui nous avons produit un album : "Enfants-soldats d'ici et d'ailleurs" dont 80 % des recettes perçues sur chaque disque seront directement reversées au projet GRAM-Kivu : Groupe de Recherches et d’Actions contre la marginalisation au Kivu qui lutte pour réinsérer des ex enfants-soldats dans la ville de Bukavu en République Démocratique du Congo. Ce travail de longue haleine peut véritablement faire évoluer la situation de ces enfants et avoir un vrai écho en occident. J'avais déjà parlé de ce projet à MicmacO7, dessinateur sur Agoravox, qui avait pubié un dessin juste et tranchant sur ce sujet. Je vous invite donc à vous rendre sur le blog consacré à l'album , dont la date de sortie est prévue au printemps, afin d'émettre vos messages de soutien et pourquoi pas nous contacter pour proposer votre aide dans les différents événements à venir qui précéderont et suivront la sortie de l'ombre des "Enfants-soldats d'ici et d'ailleurs".

Tutur



Le clip de l'album :




Liens :

http://www.enfants-soldats.blogspot.com
http://www.dailymotion.com/visited/search/enfants-soldats/video/x1acz0_clip-enfantssoldats-dici-et-dailleu
http://www.wagingpeace.org/articles/2000/08/00_beah_good-bad.htm
http://www.unicef.fr/accueil/sur-le-terrain/pays/afrique-de-l-ouest-et-centrale/sierra-leone/var/lang/FR/rub/315/method/print/articles/4457.html
http://www.univerbal.net/
http://www.gramkivu.org/
http://www.centpapiers.com/spip.php?article1012#forum2407
http://fr.news.yahoo.com/04022007/5/quinze-soldats-britanniques-de-moins-de-15-ans-envoyes-en.html
http://blogdetutur.com


Gif animé à mettre sur votre blog : merci ;)

2 commentaires:

Vanja a dit…

I would like to translate some of the biography from Fokey, Sierra Leone into English for my blog - will this be ok?

Tutur a dit…

the large part of the testimony had been written in English. Basically I have translate it in French. You can find the original text at the folliwing adress :

http://www.wagingpeace.org/articles/2000/08/00_beah_good-bad.htm

But I will translate the whole article in English soon, you could have information concerning the album and our project.

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